PROPOSITION DE LOI

visant à abolir toutes formes de violences physiques et psychologiques infligées aux enfants

 
     
                                       
                               
La proposition de loi  
   

ASSEMBLEE NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 Novembre 2010

 

PROPOSITION DE LOI
visant à abolir toutes formes de violences physiques et psychologiques infligées aux enfants

présentée par Madame Edwige ANTIER, députée

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 7 août 1990, la France a signé la Convention Internationale des Droits de l'Enfant. Elle a été d'ailleurs le premier pays à proclamer le 20 novembre « journée internationale des Droits de l'Enfant ». Il est donc fondamental de rappeler que la France a signé l'article 19-1 de cette Convention qui stipule : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. ». Cette convention est le premier instrument international en matière de droits de l'homme.

La situation du droit français sur ce thème est confuse et paradoxale. Pendant des années, la Cour de cassation a refusé de considérer la convention internationale relative aux droits de l'enfant comme directement applicable en droit français. On découvre là un paradoxe légal français, car en effet, SI le droit français prohibe clairement les violences faites aux enfant dans son article 222-13 du code pénal; et reconnaît la violence contre les mineurs, donc les enfants de moins de 15 ans, comme une forme aggravée de violence, la violence éducative ordinaire n'est pas considérée comme un problème; elle est acceptée dans l'état des moeurs. Une jurisprudence vieille de 200 ans stipule qu'il existe un  « droit de correction ». Une simple coutume est ainsi invoquée par les juridictions contre la règle de droit écrite. De même un jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux datant de 1981 fixe que le droit de correction reposerait sur deux conditions : l'agression doit être « légère » et dans un but « éducatif ».
Qui bénéficie alors du droit de correction ? Un arrêt de 2003 de la cour de cassation considère que les baby-sitter et les nourrices ont ce droit. Cet arrêt porte sur un bébé de 23 mois qui avait reçu une claque de la part de sa baby-sitter. Quel but éducatif peut-on prétendre sur un enfant de cet âge ?

La loi abolissant les punitions physiques et psychologiques envoie un signe fort envers les adultes maltraitants. En France, ce sont 300.000 enfants qui sont considérés comme « enfants en danger ». Comme le montre le dernier rapport de l'ODAS (Observatoire Nationale de l'Action Sociale décentralisée), ces chiffres augmentent d’année en année de plus de 1 000 signalements. La violence, la maltraitance et l'abandon d'enfants ont augmenté en France, entre 2003 et 2008, de plus de 4 327 cas (source OND, Observatoire National de la Délinquance). Dans le même temps la maltraitance avec blessures graves s'est effondrée en Suède.

Des travaux de plus en plus nombreux démontrent les effets néfastes de la « main levée » et des violences psychologiques sur les enfants : agressivité contre les pairs, les éducateurs et les parents, insolences, provocations, dissimulations, échecs scolaires, baisse de l'estime de soi … Et pourtant les parents croient encore à la portée éducative de la violence. Une enquête réalisée en 2007 par l'Union des Familles en Europe relève l'incohérence du raisonnement: alors que 87% des parents affirment avoir déjà donné une fessée; il sont conscients de l'inefficacité de cette dernière en étant 85% à déclarer que les enfants sont mal élevés. Nous banalisons la violence éducative ordinaire en transmettant à nos enfants une réalité cognitive de notre civilisation. En effet, l'enfant incorpore quand il a été frappé que c'est banal; que c'est normal. Toutes les études internationales démontrent, que l'usage de violences éducatives ordinaires fait croire aux enfants que la violence est acceptable. Elle devient un outil pour résoudre les conflits ou pour obtenir ce que l’on désire. Bien d'autres moyens moins dégradants et plus efficaces existent pour instruire ou discipliner les enfants, contribuant pleinement à bâtir des relations fondées sur la confiance et le respect mutuels. La punition corporelle ou psychologique envers un enfant doit être bannie sous toutes ses formes afin que ce dernier puisse pleinement s'épanouir.

Si les enfants sont traités avec respect, les chances qu'ils traitent les autres avec considération sont plus grandes, y compris envers leurs propres enfants. Grâce à une parentalité positive, les parents ont de meilleures relations avec leurs enfants. Ces derniers sont plus sur d'eux, moins agressifs et plus cohérents, pour trouver plus tard un meilleur équilibre entre leurs responsabilités familiales et professionnelles, sans rechercher les conflits avec leurs partenaires.

Contrairement à toutes les idées reçues, abandonner la violence éducative ordinaire ne rendra pas les enfants plus gâtés ou plus indisciplinés. Complètement dépendant à leur naissance, ils s'appuient sur leurs parents, des géants sensoriels, à mesure qu'ils grandissent pour être guidés, soutenus et pour acquérir une maturité d'autodiscipline. Un parent ne se doit pas d'être un chef mais un guide pour son enfant.

Le Conseil de l'Europe mène depuis quelques années une campagne active pour l'abolition des châtiments corporels. Il faut noter que la France a été sanctionnée par le Comité européen des droits sociaux pour ne pas avoir aboli les châtiments corporels car le droit à l'intégrité physique est aussi un droit de l'enfant. L'abolition totale des châtiments corporels infligés aux enfants a été adoptée par 22 pays européens après la campagne menée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en 2005; 10 autres sont sur le point de le faire. Deux ans plus tard, le Commissaire aux Droits de l'Homme a confirmé cette action en précisant le caractère indispensable de l'interdiction de toute sorte de violence contre les enfants, et notamment au sein de la famille.

Dernièrement l'Espagne, le Portugal et la Pologne, se sont mis en conformité avec l'article 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, complété de l'arrêt de la CEDH (Cour européenne des Droits de l'Homme) rendu dès septembre 1998 et interdisant toute punition corporelle au sein de la famille. La pression internationale est énorme.

Il faut à l'évidence une loi pour envoyer un message clair aux familles. Non pas une loi répressive mais une loi préventive associée à un aide à la parentalité positive. La présente proposition de loi n'a pas pour but d'être inscrite dans le registre du droit pénal mais dans le code civil. Il est important de changer nos comportements car, en effet, les violences physiques et psychologiques ne sont pas une méthode d'éducation et sont clairement néfastes au développement de l'enfant.

La France devra bientôt rendre compte devant le Conseil de l'Europe de la conformité de sa législation avec la Convention qu'elle a signée. Les enfants doivent être pleinement reconnus en tant que sujets de droits.

Pour toutes ces raisons, je vous demande, Mesdames, Messieurs les Députés, d’adopter la présente proposition de loi.

 

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

Les titulaires de l'autorité parentale et les personnes qui s'occupent d'enfants mineurs n'ont pas le droit d'user de violences physiques, d'infliger des souffrances morales ni de recourir à aucune autre forme d'humiliation de l'enfant.

Article 2

Il est indiqué lors de l'union de futurs parents que les titulaires de l'autorité parentale et les personnes qui s'occupent d'enfants mineurs n'ont pas le droit d'user de châtiments corporels, d'infliger des souffrances morales ni de recourir à aucune autre forme d'humiliation de l'enfant.

Article 3

Il est inscrit dans le carnet de santé de l'enfant que les titulaires de l'autorité parentale et les personnes qui s'occupent d'enfants mineurs n'ont pas le droit d'user de châtiments corporels, d'infliger des souffrances morales ni de recourir à aucune autre forme d'humiliation de l'enfant.

 

ACTE DE DEBAT

 
                                       
     
Télécharger l'Acte du débat
         
     

         
                                       
haut de page
 
AU CONSEIL DE L'EUROPE  
                         
     

Discours de

Maud de Boer-Buquicchio,

Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l'Europe

 

Lors de la Cérémonie de lancement de l’initiative du Conseil de l'Europe

contre les châtiments corporels infligés aux enfants

Zagreb, 15 juin 2008

   
                                   
                                 

 

Il y a longtemps, les châtiments corporels étaient très répandus, dans toutes les régions du monde et dans de nombreux milieux différents, de la prison au foyer familial, en passant par l’armée, les hôpitaux psychiatriques et même les lieux de travail ; les gens recevaient des coups pour toutes sortes de fautes, et même, parfois, quand ils n’en avaient commis aucune.

Heureusement, les temps ont changé. Aujourd’hui, nous vivons dans des sociétés civilisées et humaines où il n’est plus permis à des êtres humains d’infliger des souffrances physiques à d’autres êtres humains et de les humilier ; sauf lorsqu’il s’agit d’enfants. Curieusement, ils ont été exclus de cette grande évolution humaniste et, dans de nombreux endroits, il est toujours parfaitement normal de les frapper et de leur faire subir toutes sortes d’autres violences qui conduiraient très probablement leurs auteurs en prison s’ils se risquaient à les infliger à quelqu’un de leur taille.

Nous avons, par conséquent, décidé au Conseil de l'Europe de lancer cette campagne de sensibilisation destinée à protéger les enfants contre les châtiments corporels ET à battre en brèche l’idée selon laquelle l’enfant est, pour la société, un mini-être humain doté de mini-droits.

Il y a beaucoup de bonnes raisons d’abolir les châtiments corporels infligés aux enfants :

Les châtiments corporels font croire aux enfants que la violence est une stratégie acceptable, et même indiquée, pour régler les conflits ou amener les autres à faire ce que l’on veut soi-même.

Les châtiments corporels sont inefficaces pour faire régner la discipline.

L’initiative du Conseil de l'Europe vise à abolir les châtiments corporels dans tous les milieux, que ce soit l’école, le système pénitentiaire, les structures d’accueil, et, en particulier, la famille. Elle constitue aussi un prolongement concret des recommandations formulées dans l’étude du Secrétaire général des Nations Unies sur la violence contre les enfants, qui a fixé à 2009 la date butoir pour l’abolition universelle des châtiments corporels.

Les fondements politiques et juridiques de notre action contre les châtiments corporels sont aussi transparents que nos raisons d’agir : La Convention des Nations Unies pour le droit des enfants, la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne et la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, les décisions du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, les recommandations de l’Assemblée parlementaire, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.

Maintenant que nous savons pourquoi il faut supprimer les châtiments corporels, nous devons réfléchir aux moyens d'y parvenir. Que faut il faire ?

L'abolition des châtiments corporels exige des mesures de grande ampleur dans au moins trois domaines. Les réformes juridiques constituent le premier d'entre eux.

L'abolition des châtiments corporels nécessite un cadre juridique interdisant clairement ces pratiques et protégeant les enfants de tous les types d'agression, y compris dans le milieu familial.

Dix-huit pays en Europe ont aboli les châtiments corporels. La Suède a été la première à le faire et l'exemple suédois est remarquable car il montre clairement, à travers toute une génération, comment la société a évolué grâce à des réformes juridiques, à des politiques visant à promouvoir la parentalité positive et à la sensibilisation du public. Cependant, contrairement à une idée très répandue, les pays scandinaves ne sont pas les seuls à avoir interdit ces pratiques par des mesures législatives. Des pays du sud de l'Europe comme Chypre, l'Espagne, la Grèce et le Portugal mais aussi l'Allemagne, les Pays Bas, la Lettonie, la Hongrie, la Croatie, l'Autriche, la Bulgarie, la Roumanie et l'Ukraine ont eux aussi interdit les châtiments corporels, rejoignant ainsi le Danemark, la Finlande, l'Islande et la Norvège.

La promotion de la parentalité positive constitue le deuxième volet de notre action.

La parentalité positive se réfère à un comportement parental fondé sur l'intérêt supérieur de l'enfant : elle vise à l'élever et à le responsabiliser et lui fournit reconnaissance et assistance pour lui permettre de s'épanouir pleinement.

Enfin, nous allons nous attacher à mieux sensibiliser l'opinion publique. La plupart des sociétés européennes tolèrent toujours les châtiments corporels comme moyen de discipliner les enfants. Il est impératif de faire clairement passer le message selon lequel les enfants ont le droit d'être protégés de tous les types de violence et de bénéficier d'une protection égale devant la loi.

Toutefois, nous ne pourrons pas accomplir cette tâche seuls. Même avec la meilleure volonté du monde et beaucoup de chance, le Conseil de l'Europe ne peut pas toucher les 800 millions de personnes qui vivent en Europe. Nous sommes extrêmement reconnaissants à l'ensemble des partenaires qui joignent leurs efforts aux nôtres pour éradiquer la violence faite aux enfants. Nous savons tout particulièrement gré aux gouvernements qui soutiennent notre initiative, notamment à la Croatie qui nous accueille, à la Suède qui préside le Comité des Ministres et à la Finlande qui apporte une aide financière considérable.

Nous sommes également encouragés par la coopération avec d'autres organisations internationales comme l'Unicef, le Bureau du Haut commissaire aux droits de l'homme et d'autres encore.

Nous apprécions tout particulièrement l'assistance, les conseils et le soutien de la société civile. L'aide de la Société nationale pour la prévention de la cruauté à l'égard des enfants, organisation caritative britannique, et de l'agence Saatchi et Saatchi s'est avérée déterminante pour la réalisation d'un message publicitaire télévisé. Au Conseil de l'Europe, nous aimons à dire que les droits de l'enfant nous concernent tous.

Je vous invite, à présent, à regarder le spot télévisé produit en coopération avec la Société nationale pour la prévention de la cruauté à l'égard des enfants et l'agence Saatchi et Saatchi. Il véhicule un message fort et merveilleux : « les mains sont faites pour choyer, non pour châtier ».

Tout est dit, je crois.

Je vous remercie de votre attention.

 

 

 
                                       
                                   
 

Lien vers le site du Conseil de l'Europe : Discours de Maud de Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe

 

Lien vers la plaquette élaborée par le Conseil de l'Europe pour "l'abolition des châtiments corporels à l'encontre des enfants"

 

Lien vers le clip "Levez la main contre la fessée" du Conseil de l'Europe

     
                         
haut de page
©2011 - Conception graphique : Cécile Meignant